Nicaise Assouan



Nicaise Assouan, Paroles Insulaires

Coups de plume

                                           Commentaire composé du poème
 
  Le poète est avant tout membre de la société. A ce titre, il n’hésite pas parfois, à mettre sa plume au service de la société qui l’a vu naitre, afin de dénoncer les injustices dans lesquelles vit son peuple. Nicaise Assouan se situe dans cette logique dans son poème intitulé ‟Coups de plume”, extrait de Paroles insulaires à travers lequel il donne les différentes fonctions de la poésie. Par une démarche cohérente, il énumère les différentes fonctions de la poésie notamment l’engagement qui renferme les notions de liberté et de justice, et le lyrisme qui est l’expression des sentiments, des émotions. Dans un commentaire rigoureusement composé, il serait intéressant d’étudier ces différentes fonctions de la poésie contenues dans le texte en nous appuyant sur ce que sa poésie n’est pas et ce qu’elle est.

     La poésie est une arme fatale dont se sert bon nombre de penseurs pour exprimer leur indignation face à la misère de leurs concitoyens. Les mots sont assimilables à des balles capables de transpercer les cœurs sensibles des pouvoirs sanguinaires qui sucent le sang de leur peuple. Le poète Nicaise Assouan a de ce fait comparé la poésie à un volcan en éruption, c’est-à-dire un volcan en activité dégageant ses laves chaudes et incandescentes. Au V13, le poète souligne que sa poésie est « un volcan en courroux », c’est-à-dire d’une effervescence violente. Le mot « courroux » employé ici dénote la colère du poète face à l’attitude inique et son impatience de voir son peuple sortir des griffes des dictateurs.
     C’est normal qu’il précise dès au premier vers que « Ma poésie n’est pas une kermesse ». La kermesse est une foire ou une fête où tout le monde s’exulte dans l’allégresse. Le poète trouve inutile de perdre son temps à exprimer ce genre d’évènements dans sa poésie car, en l’état actuel de la situation de son peuple, tout cela n’est qu’une « douceur stérile ». Il est inconcevable dans l’ordre des choses de voir un peuple éclaté de rire en étant dans une situation d’asservissement. Pour Nicaise Assouan, la poésie n’est ni un moyen de distraction ni un moyen de divertissement. Comme il a su dit au V3 et au V4 : « Ma poésie n’est pas un festin », « Autour des bonheurs usurpés ». Les bonheurs usurpés se réfèrent à l’absence des joies que pouvait jouir son peuple tapi dans l’ombre du despotisme.
     De plus, l’auteur a conscience que la bataille pour la liberté met en opposition des personnes faibles et des tyrans au pouvoir gigantesque. Cette idée est renforcée par l’utilisation du nom « David » au V20 qui fait référence au fameux combat entre le petit David et l’ogre Goliath. S’il est vrai que le plus fort écrase le plus faible, Nicaise trouve que malgré la force des pouvoirs despotiques, ils peuvent toutefois être battus par des misérables fantassins car, David avait bel et bien battu le géant Goliath. Cette bataille qui a mis fin à la suprématie de Goliath constitue un espoir pour toutes les personnes qui s’estiment faibles dans leur lutte pour la liberté.
     La poésie de Nicaise Assouan n’est pas une poésie descriptive. Il la souligné au V5 en ces termes : « Elle se moque du soleil vespéral ». En effet, certains poètes trouvent le loisir de décrire certains évènements de la nature tels que le coucher du soleil ou le mouvement des vagues d’eau sur la mer. Ils trouvent parfois ce spectacle passionnant. Quant au poète togolais, tous ces évènements n’attirent nullement son attention. Il affirme son indifférence totale à ce spectacle que peut produire la nature. Sa poésie comme il écrit au V7 et au V8 est « frigide aux bruissements », « ondulatoires des vagues sur l’immensité bleuâtre ». Le poète dans ce V8 a fait usage d’une figure de style qu’est la périphrase qui consiste à exprimer une notion par unique par un groupe de plusieurs mots ; « l’immensité bleuâtre » remplace la “mer”. Pour l’auteur, ce qui importe, c’est de donner l’espoir de liberté à tous ceux qui se trouvent dans « l’espace carcéral ». L’emploi des mots « espace carcéral » au V24 traduit la situation dans laquelle se trouve son peuple. Cet espace carcéral se réfère à la prison ou au cachot. Or, le cachot est le lieu de privation des libertés. Il n’est secret pour personne que le prisonnier se trouve dans un état d’assujettissement. Son peuple étant prisonnier de la dictature, il lui revient de par sa connaissance du verbe d’envoyer un « souffle viril » et de l’ « oxygène » pour redonner vie et réveiller les consciences endormies. L’emploi des mots « consciences en hibernation » au V10 traduit l’impuissance de son peuple face à sa situation. La vie quotidienne de ce peuple est assimilable à un  « cimetière obscur de résignation ». On comprend pourquoi le poète s’efforce de changer cette vie. Ce changement d’après lui ne peut-être obtenu que par la destruction des pouvoirs despotiques. Pourquoi contempler la nature alors que son peuple  gémit à demi-écrasé sous le poids de la dictature ?
     Le poète fait cracher ses mots pleins d’énergie tels des « Cocktail molotov » afin de siffler les trompettes de « toute citadelle despotique »(V19). L’emploi de ces mots dénote la forteresse qui maltraite le peuple. Il y a ici l’emploi d’une figure de style qu’est la métonymie consistant à prendre le contenant pour désigner le contenu ou vice versa. En effet, la citadelle est la forteresse dans laquelle vit le pouvoir despotique. Ainsi, le poète a utilisé « la citadelle » qui est le contenant pour désigner « le pouvoir » qui en est son contenu. La poésie est comme le souligne Nicaise Assouan au V25 le « Limon dans les sillons ardents du désert », cela veut dire qu’elle vient donner espoir et la vitalité à ceux qui l’avaient perdu. L’heure de la liberté va sonner car, sa poésie annonce l’apocalypse de la dictature d’où l’emploi de l’adjectif « Apocalyptique » au V22. Cette idée de liberté est renforcée par l’emploi du mot « soleil » au V27, qui dénote d’abord la lumière, donc le jour et qui connote la liberté. Ceux qui étaient dans la nuit de la dictature finiront par voir le jour de la liberté.
     Si la fonction d’engagement est mise en exergue dans cette poésie, il n’en demeure pas moins de passer sous silence sans dire que le cœur est le siège par excellence des émotions, du sentiment d’amour.

     La poésie d’après Nicaise Assouan est semblable à un cœur ouvert. En effet, le cœur est le siège par excellence des sentiments. Par l’emploi du mot « rose » au V28, le poète fait référence à l’amour. Il a essayé ainsi de représenter l’amour qui est une chose abstraite par la rose qui est une chose concrète. Le titre du poème est plein de sens dans la mesure où l’utilisation des mots « Coups de plume » peut se traduire également comme un coup de cœur. L’emploi répété du pronom personnel « Elle » reflète le souci du poète de personnifier la poésie afin de lui prêter les sentiments qu’éprouve un homme ordinaire. Cette figure de style qui est la personnification souligne la particularité de l’amour qui ne peut-être prouvé que par un être humain.
     La poésie est l’expression du beau, or il n’y a rien de plus beau que l’amour ; le poète togolais ne pouvait s’en passer. Nicaise Assouan comme tout poète est un homme au cœur sensible. Dans cette perspective, il se sert de sa plume pour exprimer le sentiment d’amour qui l’anime. L’emploi du mot « douceur » au V9 traduit la sensation que peut procurer ce sentiment. De même, l’adjectif « viril » dont l’auteur a fait usage au V11 revêt une signification particulière car, il traduit l’état d’un homme qui possède le sens de la reproduction. C’est justement cette virilité qui confère à l’amour toute sa vitalité. On comprend pourquoi le poète togolais au V28 a déclaré : « Ma poésie est une rose ». Le lyrisme était au rendez-vous dans ce “Coups de plume” donné par le poète. Sa plume a aussi craché de l’amour.

     La poésie a de multiples fonctions. Il revient à chaque poète de choisir celle qui le convienne compte tenu des circonstances. Nicaise Assouan a tourné le dos aussi bien à la distraction qu’à la description auxquelles un poète peut se référer dans sa poésie. Pour lui, distraire le public ou décrire le spectacle de la nature est inutile lorsque son propre peuple est victime d’une dictature. Il sait que la parole est action car, l’engagement est la voie royale pour tout poète qui se souci de la liberté de son peuple. On comprend bien qu’il se situe dans la même logique qu’Albert Camus qui affirmait que : « Honte à ceux qui chantent pendant que Rome brûle ». Nicaise Assouan n’a pas voulu parler pour ne rien dire. Une fois accéder à la liberté, le peuple a de nouveau droit aux joies et plaisirs de l’existence. Il ne peut les retrouver que par le biais de l’amour. D’où la fonction lyrique mise en évidence par le  poète dans sa poésie car, « Après la pluie, c’est le beau temps », a-ton souvent l’habitude de dire.                           

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